Un secteur en pleine mutation réglementaire et technologique
Le transport vit une transformation profonde, à la fois sous l’effet des politiques climatiques et de l’évolution rapide des technologies de motorisation. Pendant des décennies, le schéma était simple : diesel quasi généralisé pour le transport routier de marchandises et de voyageurs, quelques motorisations essence pour les véhicules légers, et des habitudes bien ancrées chez les conducteurs comme chez les exploitants.
Ce paysage se recompose aujourd’hui à grande vitesse. Les objectifs nationaux et européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la lutte contre la pollution de l’air et la volonté de décarboner la mobilité poussent le secteur à se réinventer. Les Zones à Faibles Émissions (ZFE) imposent des restrictions croissantes à l’accès des véhicules les plus polluants dans de nombreuses agglomérations. Les donneurs d’ordre publics comme privés intègrent des critères environnementaux de plus en plus exigeants dans leurs appels d’offres. Les réglementations sur les normes d’émission et les carburants évoluent régulièrement.
Parallèlement, l’offre technologique s’est considérablement diversifiée. Aux motorisations thermiques classiques viennent s’ajouter le GNV et bioGNV, les carburants de synthèse ou HVO, les motorisations électriques à batteries, les solutions hybrides rechargeables, et à plus long terme les véhicules à hydrogène. Chaque technologie apporte ses promesses en termes d’émissions et de performance, mais aussi ses contraintes en matière d’autonomie, de temps de recharge ou de ravitaillement, de sécurité et de maintenance.
Pour les entreprises de transport et de logistique, la question n’est donc plus de savoir si elles vont devoir évoluer, mais comment le faire sans perdre en fiabilité, en sécurité et en compétitivité. Le renouvellement de flotte ne suffit pas : il faut en parallèle faire évoluer les compétences de l’ensemble des équipes, du conducteur au directeur d’exploitation. C’est là que la formation professionnelle devient un levier décisif pour anticiper les motorisations de demain, plutôt que de les subir.
Les impacts sur les métiers du transport
La transition énergétique ne concerne pas seulement les véhicules, elle transforme concrètement les métiers. Les conducteurs sont évidemment en première ligne. Conduire un poids lourd diesel, un porteur au GNV, un utilitaire électrique ou un autocar à hydrogène ne demande pas les mêmes réflexes. La gestion de l’autonomie, l’anticipation des trajets, les temps de recharge ou de ravitaillement, les limites de puissance instantanée, les consignes de sécurité spécifiques sont autant de points à maîtriser. Un conducteur qui a toujours conduit en diesel peut se retrouver dérouté s’il n’a pas été accompagné dans la prise en main de ces nouvelles motorisations.
Les exploitants et responsables d’exploitation voient eux aussi leurs pratiques évoluer. La planification des tournées doit intégrer des paramètres nouveaux : disponibilité des points de recharge ou de ravitaillement, temps d’immobilisation liés à la recharge électrique, contraintes d’accès aux ZFE, capacités de charge éventuellement différentes selon les motorisations. Optimiser un plan de transport ou un schéma de livraison devient plus complexe lorsque l’on doit jongler entre plusieurs types de véhicules, aux caractéristiques très différentes. Ces évolutions sollicitent des compétences en organisation, mais aussi une bonne compréhension des contraintes techniques pour éviter de construire des schémas irréalistes.
Les équipes de maintenance sont également fortement impactées. Intervenir sur un moteur diesel et diagnostiquer une panne sur un véhicule électrique haute tension ou sur un système de stockage de gaz comprimé ne relèvent pas des mêmes savoir-faire. Les procédures de consignation, les équipements de protection, les outils de diagnostic, les risques spécifiques (arc électrique, fuite de gaz, dégagement thermique) exigent des connaissances actualisées. Sans formation adaptée, la sécurité des techniciens comme la disponibilité des véhicules peuvent être mises en péril.
Les fonctions commerciales et relation client ne sont pas épargnées. Les commerciaux doivent être capables d’expliquer à leurs clients ce que change la mise en place de motorisations alternatives : bénéfices environnementaux, impacts possibles sur les délais, contraintes d’exploitation, valeur ajoutée en termes d’image pour le client final. Ils doivent comprendre les grands principes des technologies utilisées, sans entrer dans les détails techniques les plus pointus, afin de répondre de façon crédible aux interrogations des chargeurs, des collectivités ou des passagers.
Au-delà des compétences techniques, les compétences comportementales sont elles aussi sollicitées. La transition énergétique demande de la capacité d’adaptation, de la curiosité, une forme d’aisance face au changement. Elle impose de remettre en question des habitudes bien établies : façons de conduire, de planifier, de dialoguer avec les clients, de gérer les imprévus. Les équipes qui seront formées et accompagnées dans cette transformation auront plus de facilité à s’approprier les nouvelles motorisations et à en tirer pleinement parti.
Les axes de formation à développer
Pour répondre à ces mutations, les entreprises de transport et de logistique doivent structurer des axes de formation ciblés. Le premier d’entre eux concerne la compréhension des motorisations alternatives. Il ne s’agit pas de transformer les conducteurs en ingénieurs motoristes, mais de leur donner une vision claire du fonctionnement général des technologies qu’ils utilisent : comment fonctionne une motorisation électrique à batteries, quelles sont les particularités d’un véhicule au GNV, quelles sont les contraintes de pression, de stockage et de sécurité liées à l’hydrogène, comment se comporte le véhicule en charge, quels sont les facteurs qui influent sur la consommation énergétique.
Ces formations doivent expliquer les avantages et les limites de chaque solution, dans un langage accessible. Par exemple, on peut montrer comment le relief, la température extérieure, le style de conduite, le poids transporté ou l’utilisation des auxiliaires (climatisation, chauffage, équipements de froid) impactent l’autonomie d’un véhicule électrique. On peut aussi préciser pourquoi certaines motorisations sont particulièrement adaptées à des trajets urbains courts et réguliers, tandis que d’autres restent plus pertinentes pour la longue distance.
Le second axe majeur de formation porte sur la conduite éco-responsable adaptée à chaque technologie. L’éco-conduite ne se résume pas à “rouler doucement”. Elle consiste à adopter une conduite anticipative, fluide, qui exploite au mieux les capacités du véhicule tout en réduisant la consommation et l’usure. Sur un véhicule diesel, cela passe par des principes déjà connus : éviter les accélérations brutales, maintenir une vitesse régulière, utiliser correctement les rapports de boîte, limiter les arrêts moteur tournant. Sur un véhicule électrique ou hybride, d’autres paramètres entrent en jeu, comme l’optimisation de la récupération d’énergie au freinage, la gestion du mode de conduite (éco, normal, power), la recherche de trajectoires qui limitent les à-coups et les variations de vitesse inutiles.
Les programmes de formation à l’éco-conduite doivent donc être mis à jour pour intégrer les spécificités de ces motorisations. Ils peuvent s’appuyer sur des simulateurs, sur des retours télématiques, sur des accompagnements individuels avec un formateur qui analyse les trajets et commente les pratiques. À la clé, on retrouve non seulement une réduction des consommations d’énergie ou de carburant, mais aussi un meilleur confort de conduite et une diminution de la fatigue et du stress.
Un troisième axe de formation concerne l’organisation des tournées, l’autonomie et la gestion de la recharge ou du ravitaillement. Cette dimension s’adresse surtout aux exploitants et planificateurs, mais aussi, dans une certaine mesure, aux conducteurs eux-mêmes, qui doivent comprendre la logique des choix qui sont faits. Les formations doivent aborder, de manière concrète, des questions comme : comment dimensionner des tournées en tenant compte de l’autonomie réelle des véhicules et non pas uniquement de leurs caractéristiques théoriques ; comment intégrer les temps de recharge dans la planification, en les combinant éventuellement avec des pauses réglementaires ou des opérations de chargement-déchargement ; comment gérer l’incertitude liée à la disponibilité de certaines bornes publiques ; comment organiser le ravitaillement en GNV ou en hydrogène lorsque les stations sont rares ou situées à distance.
Ces formations peuvent inclure des ateliers pratiques où les participants construisent des schémas de tournées “avant / après” transition énergétique, comparent les temps de trajet, identifient les contraintes, trouvent des solutions alternatives (micro-dépôts, adaptation des horaires, mutualisation de véhicules, etc.). Elles doivent également sensibiliser aux aspects réglementaires liés au temps de conduite et de repos, pour éviter de créer des planifications intenables.
Enfin, un volet important des formations doit porter sur la sécurité spécifique liée aux nouvelles motorisations. Les conducteurs et les équipes de maintenance doivent connaître les consignes en cas d’accident, d’incident, de fuite de gaz, d’alarme sur une batterie, de suspicion d’échauffement anormal. Ils doivent savoir quels gestes sont autorisés, lesquels sont strictement interdits, quels sont les contacts d’urgence à mobiliser, quelles mesures de protection prendre pour eux-mêmes et pour les tiers.
Construire un plan de développement des compétences
Pour ne pas se limiter à des actions ponctuelles, les entreprises ont intérêt à inscrire ces formations dans un véritable plan de développement des compétences lié à la transition énergétique. Cela commence par une cartographie des métiers impactés. Il s’agit d’identifier, métier par métier, les changements induits par l’arrivée de nouvelles motorisations : qu’est-ce qui change pour les conducteurs de poids lourds, pour les chauffeurs-livreurs urbains, pour les conducteurs de cars ou d’autocars, pour les exploitants, pour les responsables de parc, pour les techniciens de maintenance, pour les responsables commerciaux, pour les fonctions support qui répondent aux appels d’offres.
À partir de cette cartographie, on peut construire une matrice de compétences, en listant les connaissances et savoir-faire à acquérir ou à renforcer pour chaque profil. Par exemple, un conducteur urbain devra être formé prioritairement à la prise en main du véhicule électrique ou GNV, à l’éco-conduite adaptée et aux consignes de sécurité spécifiques. Un technicien de maintenance devra suivre des modules plus approfondis sur la haute tension, les systèmes de stockage d’énergie, les procédures de consignation, les interventions en atmosphère potentiellement explosive. Un exploitant aura besoin de comprendre suffisamment les contraintes techniques pour planifier des tournées réalistes et optimiser le taux de service.
Vient ensuite une phase de priorisation des formations critiques. Toutes les compétences ne peuvent pas être développées simultanément pour tout le monde. Il faut donc identifier les risques les plus élevés et les enjeux les plus stratégiques. Par exemple, la formation sécurité et prise en main des véhicules alternatifs pour les conducteurs et techniciens est souvent prioritaire, car elle conditionne directement la sécurité des personnes et des biens. L’actualisation des compétences des exploitants en matière de planification est également critique si la flotte se diversifie rapidement. D’autres formations, comme l’acculturation générale des fonctions support à la transition énergétique, peuvent être planifiées dans un second temps, sans être négligées pour autant.
Ce plan de développement doit aussi articuler la formation réglementaire et la montée en compétences. Dans le transport, de nombreuses formations sont déjà obligatoires ou normées : FIMO, FCO, formations spécifiques à certains transports (matières dangereuses, voyageurs, marchandises), habilitations diverses. La question n’est pas de créer une couche supplémentaire totalement indépendante, mais de voir comment intégrer la dimension “transition énergétique” dans des formations existantes, ou comment articuler des modules complémentaires autour de ces socles. Par exemple, un module “motorisations alternatives et éco-conduite” peut être intégré à un parcours de formation continue (FCO) pour conducteurs routiers, plutôt que de créer un dispositif totalement séparé.
Enfin, la construction de ce plan de compétences suppose un dialogue étroit entre la direction, les ressources humaines, le service formation, les responsables opérationnels et, lorsque c’est pertinent, les partenaires externes (organismes de formation, constructeurs, loueurs, énergéticiens). L’objectif est de construire un programme pluriannuel, réaliste en termes de budget et de disponibilité, mais suffisamment ambitieux pour accompagner véritablement la transformation.
Positionner la formation comme levier stratégique
La formation liée à la transition énergétique ne doit pas être vue uniquement comme une contrainte supplémentaire ou une simple mise à niveau technique. Si elle est bien pensée, elle peut devenir un véritable levier stratégique pour l’entreprise de transport ou de logistique.
Sur le plan commercial, la capacité à présenter des équipes formées aux nouvelles motorisations, à démontrer une maîtrise de l’exploitation de véhicules propres, à garantir la sécurité des opérations et la fiabilité des délais constitue un atout majeur dans les réponses aux appels d’offres. De plus en plus de donneurs d’ordre demandent des preuves concrètes de l’engagement environnemental des transporteurs : type de flotte, émissions évitées, mais aussi qualification des conducteurs, dispositifs de formation à l’éco-conduite, procédures en cas d’incident. Mettre en avant des programmes de formation spécifiques à la transition énergétique renforce la crédibilité de la démarche RSE de l’entreprise.
Sur le volet marque employeur, la formation joue un rôle tout aussi important. Les métiers du transport souffrent parfois d’un déficit d’attractivité, notamment auprès des jeunes générations. Mettre en avant des parcours de formation structurés autour des nouvelles technologies, proposer à des conducteurs la possibilité de se former à l’électromobilité, au GNV ou à l’hydrogène, offrir des perspectives d’évolution vers des fonctions d’expertise ou de formateur interne contribue à rendre les postes plus attractifs. Les salariés ont le sentiment de progresser, de rester “dans le coup” sur un secteur en transformation, plutôt que de subir des changements imposés sans accompagnement.
La formation est également un pilier de la politique RSE au sens large. Réduire les émissions du transport ne passe pas uniquement par l’achat de véhicules plus propres. Cela suppose aussi de mobiliser les équipes autour d’objectifs concrets : diminuer la consommation, réduire les kilomètres à vide, améliorer le taux de remplissage, limiter les incidents techniques liés à une mauvaise utilisation des véhicules. En ce sens, chaque module de formation est une occasion de relier les enjeux environnementaux globaux à des gestes très concrets du quotidien. Cette cohérence renforce l’engagement des équipes, qui perçoivent mieux l’impact de leurs actions.
Pour que la formation prenne cette dimension stratégique, la communication interne joue un rôle clé. Il est utile d’expliquer pourquoi l’entreprise investit dans ces programmes, quels sont les objectifs visés, quels résultats sont attendus et comment chacun y contribue. Partager des retours d’expérience positifs – par exemple une baisse mesurable de la consommation après un programme d’éco-conduite, un retour favorable d’un client sur la qualité d’exploitation de véhicules propres, ou encore la satisfaction de conducteurs impliqués dans un projet pilote – permet de donner du sens et de susciter l’adhésion.
Enfin, associer les équipes à la construction et à l’amélioration des formations renforce encore cette dynamique. Les conducteurs, techniciens, exploitants qui expérimentent chaque jour les contraintes et les atouts des nouvelles motorisations sont souvent les mieux placés pour suggérer des améliorations, pointer les difficultés, proposer des idées. En les faisant participer à des groupes de travail, à des retours d’expérience, ou même à l’animation de certains modules, l’entreprise transforme la formation en véritable projet collectif, au service de sa transition énergétique et de sa performance durable.